Rouquin va pour le mieux dans le meilleur des monde

Il existe une catégorie de rappeurs, voire même d’artistes, qu’on pourrait qualifier d’intermittents. Leurs apparitions sont sporadiques, leur communication erratique, et parfois réussir à les suivre relève de la gageure. Pourtant ce n’est pas parce que ces personnes ont pris la tangente quant à une éventuelle carrière, que leurs sons ne sont pas de qualité.

C’est le cas de Jean Baptiste. Anciennement nommé Unsalenoir, et avec quelques clips à droite à gauche, c’est avec un groupe, « Rouquin », qu’il a sorti un EP, Le meilleur des mondes, le 31 octobre dernier. Aucun retour dans les blogs spécialisés, des titres uniquement disponibles sur Bandcamp, et un clip avec assez peu aucune promo. Voilà pour l’ensemble. Du coup, avec cette appétence naturelle pour tous les trucs obscurs du net l’auteur de cet article s’est penché sur ce 8 titres très dense.

Un monde qui court à sa perte

Il doit circuler une atmosphère étrange dans le 76, d’où vient Jean Basptiste, tant l’ambiance rappelle celle qu’on peut retrouver chez Vîrus, autre rappeur asocial de la Seine-Maritime. L’atmosphère est poisseuse, lourde, et peut aussi rappeler certaines productions de Nestor Kéa par l’utilisation de vrais instruments, qui évoque l’aspect do it myself. La batterie lourde qui tape un tempo relativement lent est aussi pour quelque chose dans cette ambiance et permet à Jean Baptiste de dérouler ses textes sans chercher absolument à marquer le tempo, laissant couler sa voix, presque à la manière d’un slam.

Le meilleur des mondes c’est cette dystopie écrite par Aldous Huxley en 1931. Dans ce roman d’anticipation, la société est divisée en caste et chaque personne se voit attribuer une fonction sociale et économique précise à laquelle elle ne peut échapper. Tout le monde est abruti par des pilules, sortes de camisole chimique, qui permettent de s’échapper de l’absurdité de cette condition et freine toute envie de contestation. Le constat défendu par Jean Baptiste est que nous nous trouvons dans ce « Meilleur des monde », insistant par exemple sur le paradoxe du progrès scientifique, comme dans le refrain de Maux Monnaie :

J’observe progrès et pauvreté, l’homme peut aller dans l’espace
Crever d’fin bientôt, cloner l’espèce

Les réflexions d’un solitaire dans une maison en feu

Lui-même se pose en observateur de cette évolution, et propose les réflexions qui sont celle d’un homme évoluant au cœur d’un désastre contemporain. L’évolution de notre espèce et l’évolution personnelle se croisent dans cet EP, comme le souligne ces premiers vers du titre Le meilleur des mondes, sublimés par cette merveilleuse boucle de guitare, saturée et grésillante, qui nous plonge dans l’intimité de Jean Baptiste :

C’qui n’ma pas tué n’ma pas rendu plus fort,
Pt’être un peu moins dégénéré un peu plus futé atypique.
Pas folle la guêpe
Un peu plus sanguin, un peu plus satyrique

La métrique est complètement déstructurée et les textes, qui évoquent pêle-mêle cinéma, musique, poésie, ou simplement l’air ambiant, sont quasiment mâchés par la voix rauque du rappeur, comme-ci ce dernier n’avait plus le temps, s’était tu trop longtemps et devait absolument expulser ce qu’il avait sur le cœur. La densité poétique des textes et la manière quasiment off beat de les scander de la part du MC pourrait presque évoquer le flux de conscience, cette technique littéraire qui cherche à traduire directement la pensée de l’auteur en train d’écrire. C’est particulièrement vrai lorsque Jean Baptiste évoque le processus d’écriture :

Penser comme un esclave inconsciemment j’en avais pris l’habitude
Ma réflexion mon acte révolutionnaire le seul moyen d’échapper à la servitude.
J’noircis la page puis j’essaie tant bien que mal de n’pas l’bégayer

Il serait difficile d’évoquer piste par piste ce dont parle le rappeur, tant on a l’impression qu’il s’est coupé les veines pour en répandre le contenu sur une feuille. Mais on ne peut que vous encourager à prendre le temps d’écouter, et réécouter ce disque, car rien n’est sûr avec Jean Baptiste et son groupe, Rouquin, et que cette musique pourra accompagner tranquillement vos longues soirées d’hiver.

Le lien Bandcamp c’est par là -> https://rouquin.bandcamp.com/album/le-meilleur-des-mondes

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