HARTIGAN ET MANI DEIZ NOUS ENVOIENT UNE LETTRE DU FRONT DE LA VIE

Chez Artichaut on (enfin moi en tout cas) aime bien prendre notre temps. Par paresse un peu, mais aussi car j’estime que face à la multiplication des sorties CD, des mixtapes sur Haute culture et des vidéos mises en ligne chaque jour, il faut un peu de temps pour digérer toute cette avalanche de flow, de textes et de prods. Dans le cas d’Hartigan, vu la densité d’écriture du boug’ j’ai considéré qu’il fallait du temps pour saisir la complexité et la richesse de son monde.

 

Bon, il faut avouer que Purgatoire était resté longtemps endormi dans mon mp3 avant que je me penche dessus. Si le rappeur n’évoquait pas grand-chose à mes oreilles, puisqu’il s’agit de son premier album, la promesse d’une nouvelle collaboration de Mani Deïz, après l’excellent Martyrs Moderne avec Pejmaxx, Ol Zico et Néfaste, me plongeait dans un état d’excitation avancée. Un jour il faudrait songer à ériger un monument à ce beatmaker de génie, tant il réussit à magnifier les textes des gens avec qui il collabore. Dans le cas de cet album on est dans la recette classique : une base de batterie lourde et grasse et des samples qui feraient même pleurer le pire des sans cœur (huissier de justice, traders à la Défense, fleuriste à l’entrée du cimetière, choisissez). L’ homogénéité des prods de Mani nous plonge dans une ambiance qui correspond exactement à celle où veut nous emmener Hartigan.

Cette ambiance, c’est celle d’un corps social déchiré, où le quotidien ressemble au purgatoire, expliquant le titre de l’album. De sa voix calme, et avec un flow quasiment parlé, en tout cas très léger, Hartigan nous expose son malaise face à ce monde fait de violence et de perversion, avec une langue sereine, posée, utilisant parfois de mots un peu désuets (délateurs, boniments, pour ne citer qu’eux), ce qui nous abstrait d’une quelconque actualité pour appréhender la vie dans son absolu. La récurrence du champ lexical de la guerre en dit long sur la manière qu’ a Hartigan de voir les relations interindividuelles régies par la société.

« Que le chaos nous entraînent dans la guerre civile
Que l’on affronte l’oppresseur et sa perfidie
Lucifer a déjà passé la troisième
Le drapeau blanc s’est pris un missile de croisière
L’affrontement est une chose des plus ordinaires
L’argent est le plus puissant des sortilèges »

(Agonie)

 

Il se place au centre de cette scène, en témoin de son époque, détaché de ce qu’il décrit comme un « putain de dramaturge » (Vérité). La sublime pochette de l’album illustre d’ailleurs cette volonté de se différencier de son environnement

« On en voit des mecs perdus, les narines pleines de blanche
Des femmes irrécupérables et des frères se vendre
Je ne ferai croire à personne que cette merde me manque
J’écris ma propre version de l’enfer de Dante »
(Bonne étoile)

 

De ce constat d’échec naît une tension entre le profane et le sacré. En effet, le purgatoire c’est ce lieu de transit, ou les âmes doivent être purifiées de leur péché avant d’accéder au paradis. Cette dimension religieuse et spirituelle est omniprésente au fil de l’album. Les références bibliques sont nombreuses, que ce soit la pomme d’Adam, péché originel, à Lucifer ou encore à un dieu qui « nous aurait surestimé » (Cerbère). Un double monde se met alors en place, celui terrestre et celui spirituel, qui nous regarde de haut (ou de bas c’est selon). On peut alors penser à des épisodes de la mythologies grecque, où les dieux se gaussent de la bêtise des hommes. Hartigan fait d’ailleurs référence à des passages de cette mythologie, notamment sur le titre Cerbère.

J’ai essayé de vous présenter succinctement ce concentré d’écriture, mêlant habilement échappatoire métaphysique et dure réalité terrestre. Ce n’est pas le genre de disque que tu vas mettre sur la plage cet été pour t’enjailler, mais il est salvateur, quand le rap se perd parfois en gimmick, de remettre de la réflexion dans tout cela. Et pour vous faire une idée vous-même, je terminerai sur les mot de l’auteur : « Bienvenu dans le purgatoire d’Hartigan ».

 

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